Chaque personne est unique, chaque couple est unique, chaque divorce est donc unique et se déroulera par conséquent sans pouvoir en prévoir le canevas.
Pourtant, séquencer ses étapes dans le bon ordre permet souvent de clarifier les choses – et donc de faciliter les solutions là où, généralement, tout est énormément confus et terriblement douloureux pour les protagonistes qui le vivent.
Ce travail n’est souvent pas possible à deux, ni même seul pour deux raisons principales :
– tout est trop imbriqué par les années de vie commune
– des sentiments puissants annihilent la raison des deux partenaires du couple. Les trois principaux sont l’angoisse, la fragilité psychologique et le dépit envers l’autre.
Difficulté à se projeter dans un nouvel avenir et esprits encombrés par les affects font qu’il ne faut pas hésiter non plus à trouver des accords provisoires et non contraignants pour la situation définitive.
Quoi qu’il en soit, tout cela fait que le séquençage des étapes constitue très fréquemment le sujet du premier entretien que j’ai avec les personnes confrontées à – ou envisageant la séparation :
Ce type d’entretien est souvent très utile – et je dirais même bienfaisant pour la personne qui consulte.
Le « guide du bon divorce » ou, selon le point de vue, le kit de survie du couple déglingué (explosé ?) qui suit n’a donc aucun but didactique ni aucune velléité morale, c’est juste une sorte de fact sheet que le lecteur lira ou ne lira pas, et liera ou ne liera pas à sa propre situation.
La séparation
Comment divorcer ? Et bien, c’est simple : il faut commencer par se séparer.
La séparation constitue donc l’étape initiale. Elle est la plus douloureuse et souvent la plus confuse. D’une habitation commune, on passe à deux logements. Et cela après des jours, des semaines ou des mois de disputes, incompréhensions, mises au point, palabres, colères, chutes, réconciliations et souffrances. Ça craint, dirait mon fils !
La séparation intervient soit de commun accord, soit par l’action unilatérale d’un époux. En général, la question de savoir qui s’en va et qui reste n’est guère contentieuse : sauf s’il y a responsabilité manifeste de l’un (adultère, violences, etc.), c’est le partenaire qui souhaite la séparation de la manière la plus intense qui s’en va.
L’hébergement des enfants peut également constituer un facteur, dans la mesure où la préservation de leurs habitudes de vie joue souvent.
La séparation peut par ailleurs être provisoire ou définitive, ces différences n’ont pas beaucoup d’importance selon moi. La seule certitude, c’est que cette séparation va entraîner une montagne de questions pratiques à résoudre :
Par conséquent il est inutile de se focaliser sur le divorce proprement dit ou le partage du patrimoine commun : ces étapes interviendront en second lieu, et souvent plusieurs mois après la séparation.
Seul le divorce par consentement mutuel exige de formuler toutes les étapes en même temps et dans une seule convention : c’est pourquoi il est généralement réservé aux situations les moins conflictuelles… ou sans doute les moins compliquées.
Les logements séparés
Des éternels ami(e)s prêtant généreusement une chambre dans leur domicile à la recherche désespérante de l’appartement répondant aux critères d’urgence, de court terme et de loyer modéré, chacun fera sa propre expérience du départ de la résidence conjugale.
Aux difficultés sentimentales se substituent et plus exactement s’ajoutent les difficultés financières : la séparation est le moment le plus coûteux, en argent, du processus. J’ajouterais que la rédemption n’est pas loin si l’on considère l’aspect libérateur de la séparation et, dans tous les cas, je constate simplement que des milliers de gens[1] ont surmonté ces problèmes financiers semblant insolubles lorsqu’on les vit.
En relisant ce paragraphe, je constate une fois encore l’effet salvateur de la difficulté financière : par son réalisme et, malheureusement, son intensité, elle écrase toutes les autres difficultés morales et psychologiques notamment :
La survie financière annihile les difficultés morales et du moins les rend plus accessoires.
Les aspects alimentaires
Le passage d’une unité à deux unités de logement va poser des questions financières de l’ordre alimentaire (au sens de : pension ou contribution alimentaire) :
Chacun va vouloir s’assurer que son nouveau ménage solo peut tenir le coup financièrement. Les revenus et les dépenses seront projetés, confrontés, comparés.
Si l’un des partenaires dispose d’un revenu beaucoup plus important, une provision alimentaire pourra être discutée sur base du principe émis par la Cour de cassation :
Aux termes de deux arrêts prononcés les 9 septembre 2004 et 25 novembre 2005, celle-ci a posé le le principe que durant la séparation, les époux peuvent prétendre bénéficier du même niveau de vie, en tenant compte néanmoins de leurs besoins et de leurs ressources respectives.
J’y reviendrai dans un article séparé.
Le mobilier
L’établissement dans deux logements séparés nécessite généralement un partage provisoire et partiel des meubles et effets.
Rien ne sert de se mettre martel en tête : on est bien dans le provisoire et le partiel. Les fantasmes d’égalité, les craintes que tout disparaisse ne sont pas de mise, il faut juste être pratico-pratique. Les achats chez Ikea caddy contre caddy pour suppléer les meubles et objets que l’autre emmène ou conserve n’ont rien de déshonorant…
Les enfants
Dans une séparation, on insiste généralement auprès des enfants sur le fait qu’il n’en portent aucune responsabilité :
C’est vrai et cela prouve incidemment que, dans de tels moments, les adultes passent – pour une fois – avant les enfants :
Concrètement, même si des discussions sans fin ont déjà eu lieu à leur propos, leur sort définitif n’interviendra, idéalement, qu’une fois que les parents auront pu « se poser », chacun de leur côté, dans leurs vies et leurs foyers ainsi séparés.
C’est pourquoi j’encourage tout accord provisoire en attendant ce moment où chacun se retrouve enfin dans sa « bulle », son endroit sécurisé et relativement stable, pour prendre les décisions définitives.
Ce provisoire peut être un mois, six mois, peu importe. Il suffit de l’ajuster au temps de la tempête et du moins, de la période installatoire pour celui qui s’en va.
Les comptes et le partage
La dernière étape du divorce porte sur les comptes et le partage des avoirs communs.
Encore une fois, selon moi, ces questions doivent être reportées à l’après-divorce, même s’il n’en est pas toujours ainsi :
Par exemple, dans son (très bon) film L’économie du couple, notre compatriote Joachim Lafosse imagine un couple qui se déchire dès le départ sur la maison et sur les comptes qu’elle engendre :
Marie a payé la maison dans laquelle le couple vit avec leurs deux enfants, mais c’est Boris qui l’a entièrement rénovée. Bien que la décision de se séparer est prise, ils sont obligés de cohabiter, car Boris n’a pas les moyens de se reloger. À l’heure des comptes, aucun des deux ne veut lâcher sur ce qu’il juge avoir apporté.
Si cette mise en situation permet d’exacerber les sentiments et de provoquer une tension cinématographique profitable à l’intérêt du spectateur, elle n’est pas du tout courante dans ma pratique d’avocat et, en tout cas, le lent pourrissement du couple causé par leur cohabitation forcée n’est pas à conseiller.
Mais dans un interview réalisé peu après la sortie du film en 2016 par ailleurs, Joachim Lafosse notait avec justesse que « L’argent représente ce sur quoi on peut se disputer, il n’en est pas la cause ».
C’est exact : l’argent est certes important, mais moins que les enfants et la santé mentale des deux protagonistes ; c’est pourquoi il faut le placer comme le dernier conflit à résoudre.
[1] Dès lors que la Belgique enregistre une moyenne de 50.000 divorces par an selon Statbel