La place du père dans les séparations impliquant un enfant est un sujet qui me tient à cœur, car elle est souvent chahutée par les mères, à tort ou à raison par ailleurs.
Dans les luttes intestines pour prendre – ou conserver le pouvoir sur les enfants ou tout simplement dans les formes d’agressivité qui baignent légitimement les séparations, les pères peuvent être dénigrés – ou plus simplement ne pas faire le poids face à la « puissance de feu » maternelle.
Dans ma pratique d’avocat, je constate aussi que de nombreux hommes âgés ont perdu quasi tout contact avec leurs enfants ; beaucoup incriminent (à tort ou à raison encore une fois) l’attitude de la mère pendant ou après la séparation.
Alors qu’en est-il ?
Je vous rassure d’emblée, je ne vais pas pontifier sur le sujet. Ce serait vite casse-gueule !
Mais deux cinéastes – deux très bons cinéastes – ont réussi à décrire cette place tout en finesse et à en expliquer l’intérêt.
Je peux donc déjà conclure cet article en vous recommandant d’aller voir leur film. Je ne résiste pas, néanmoins, à l’envie de vous les commenter brièvement tant ils sont savoureux l’un et l’autre.
Tout d’abord, le film Ema du réalisateur chilien Pablo Larrain (je suis fan) est un peu foutraque et parle de plein de choses à la fois.
Mais le sujet principal, c’est clairement une mère (assez extraordinaire !) obsédée par son enfant dans le cadre de sa séparation. Obsédée par la perte – ou même la crainte de la perte de son enfant, devrais-je dire.
L’enfant est adopté et ramené dans son institution dans le cadre de la séparation (et plus exactement peu avant cette séparation, ce n’est pas parfaitement clair), mais cela ne change rien au sujet.
Par ailleurs, on ne le voit jamais, sauf à la fin du film, ce qui démontre que dans ces situations, c’est moins l’enfant que les rapports noués par ses parents à son propos qui sont l’élément primordial du litige… et donc de sa solution !
Dans Ema, la « puissance de feu » de la mère dont je parle au début est littéralement matérialisée par un lance-flamme qu’elle dirige sur tout, même le ciel qu’elle implore dans son désespoir. C’est là une des originalités du film, mais il y en a d’autres, comme des scènes de danse chorégraphiées sur du reggaeton à plein volume.
La mère dispose d’une deuxième arme : un corps sculpté par la danse (elle est danseuse professionnelle) et entièrement dévoué à sa cause : récupérer, voire rematérialiser l’enfant perdu.
Un magnifique portrait de femme(s), donc…
Un autre film remarquable, cette fois nettement plus analytique, qui parle de l’enfant dans la séparation et de la place du père, c’est A marriage story, un film américain de Noah Baumbach.
Dans chacun de ces films, je dirais que les pères maintiennent leur rôle, dans la séparation, par des biais différents. En fait, ils s’accrochent à leur rôle de père, tandis que les deux mères le revendiquent bien plus naturellement, et même de manière totalement provocante dans le cas d’Ema :
On pourrait dire que les mères se montrent démoniaques (un peu pour l’Américaine, beaucoup pour la Chilienne) dans leur manière de préserver la primauté de leur lien avec l’enfant !
Il se fait que les pères sont chaque fois joués par deux excellents acteurs – deux hommes remarquables à vrai dire, à savoir Gael Garcia Bernal pour Ema et Adam Driver dans A marriage story, qui arrivent chacun à donner une image sans fard de l’homme « perdant magnifique » du divorce…
Car à la fin, c’est toujours la mère qui gagne… Non, c’est trop caricatural. Je nuancerai mon propos à la fin.
Quoi qu’il en soit, vêtu de la même salopette ridicule que je portais à 16 ans il y a bien longtemps, Gael Garcia Bernal, tout d’abord, reste stoïque et digne – et même aimant, en quelque sorte, face à une ex-compagne incandescente, magnifique et vénéneuse, besognant à récupérer sans ménagement l’enfant perdu du couple :
C’est clairement son enfant, pas celui de Gael Garcia Bernal qui, à l’inverse, manque lamentablement de punch pour retrouver sa place de père… Dépression, quand tu nous tiens !
À la fin du film, la mère a été jusqu’à dupliquer l’enfant pour s’en rapprocher de manière machiavélique (allez voir le film, je ne peux pas en dire plus !) et c’est là que Gael Garcia Bernal se montre particulièrement stoïque et touchant…
Pour résumer son personnage, je dirais qu’il est un roc en papier mâché : directeur de la troupe de danseurs, mentor de sa compagne, réfléchi, mais tellement fragile et dépassé à la fois (et à la fin).
Dans A marriage story, Adam Driver (merveilleux acteur encore une fois) est tout aussi intéressant, mais nettement plus combatif. Son intériorité est montrée tout en finesse et en détail.
Le film est truffé de scènes extraordinaires, dont les meilleures laissent apparaître des avocats familialistes caricaturaux, mais tellement vrais !
L’avocat d’Adam Driver -et plus exactement son premier avocat est terriblement humain et intelligent, doux, réaliste et bonhomme à la fois : il sait l’impuissance du père et plus exactement la terrible perte de certitudes, de puissance et de place que ce père va subir à l’occasion de la séparation ;
Quant à l’avocate de son ex-partenaire Scarlett Johansson (avocate jouée par Laura Dern), on la voit dans une scène incroyable où, véritable garce, mais tout aussi intelligente, elle prend littéralement sa cliente dans sa toile pour faire d’une mère et d’une épouse désemparée une véritable guerrière : une vainqueuse, tout simplement, dès le moment où Laura Dern l’aura prise dans les bras.
Mais la fin du film nous donne la clef : il n’y a ni vainqueur ni vainqueuse dans un divorce, juste deux adultes qui ont dû faire un terrible et long travail de deuil. C’est d’ailleurs pourquoi le titre n’évoque pas le divorce, mais ce mariage qui est une dernière fois relaté dans la scansion même de sa fin.
Bon. J’ai dévié de mon sujet. Plus exactement, je me rends compte que la « place du père » est immanquablement liée à la « place de la mère » ; comme quoi ce duo homme-femme est infernal et – enfant ou pas – nourrit sans doute plus de 50% des films produits depuis le début du cinéma !
Mais j’espère vous avoir convaincus : allez voir ces films ou l’un d’eux pour comprendre – et plus encore, pour apprécier la « place » des pères.